Galice : Mariscadoras, des femmes contre vents et marées

Région la plus importante de la pêche artisanale d’Espagne mais aussi d’ Europela Galice est également réputée pour sa pêche aux coquillages, pratiquée essentiellement par des femmes : les mariscadoras. A O Grove, le « paradis du coquillage », on les rencontre sur le bord de l’estuaire de l’Arousa, les pieds dans l’eau, retournant le sable pour y trouver les précieux fruits de mer. Plongée dans le quotidien de ces femmes au caractère bien trempé.

Région la plus importante de la pêche artisanale d’Espagne mais aussi d’ Europela Galice est également réputée pour sa pêche aux coquillages, pratiquée essentiellement par des femmes : les mariscadoras. A O Grove, le « paradis du coquillage », on les rencontre sur le bord de l’estuaire de l’Arousa, les pieds dans l’eau, retournant le sable pour y trouver les précieux fruits de mer. Plongée dans le quotidien de ces femmes au caractère bien trempé.

Chaque matin, ou presque, elles empruntent les chemins qui les mènent sur l’’île de la Toja, îlot dans l’îlot d’O Grove, presqu’île de la côte galicienne. Elles se sont levées de bonne heure pour aller chercher les coquillages enfouis sous le sable à l’heure où l’eau de l’estuaire d’Arousa est encore assez haute, pour que cela nécessite de chausser les cuissardes et un équipement imperméable. « Elles », ce sont les mariscadoras. On les retrouve un peu partout en Galice, creusant, raclant, soulevant, filtrant le sable pour y trouver les précieuses palourdes et coques piégées par les marées. Une image d’Épinal. Pas un homme à l’horizon, ou presque. La pêche aux coquillages à pied étant, d’aussi loin que remonte la tradition, une pratique féminine, tandis que l’on retrouve davantage les hommes sur les embarcationsLe poids de l’histoire sans doute, mais certainement pas de rapport particulier avec la puissance ou la forcePéninsule sauvage, enfermée et protégée par de nombreux endroits, la presqu’île d’O Grove est une mine d’or pour cette activité traditionnelle qui semble avoir toujours fait partie du paysage.

Au cycle des marées

En ce jour de beau temps de la mi-janvier, alors que le reflet des maisons colorées bordant la Ria Arousa baignent dans une eau limpide et calme. Il se dégage une ambiance feutrée qui donnerait presque à oublier les caprices réguliers de la mer. C’est dans ce paysage de carte postale que débarque Paca, un petit bout de femme, bonnet gris faisant ressortir un regard vert et bienveillant. Elle fait partie de cette communauté de pêcheuses à pied. Elle ramasse les coquillages depuis une vingtaine d’années. « Nous sommes environ 400 à O Grove. Certaines nous rejoignent, d’autres arrêtent. Ce qui fait que nous sommes toujours le même nombre. Plus ou moins. Tiens ! s’interrompt-elle, enjouée. C’est ma camarade ! ». Elena n’habite pas très loin de l’estuaire de la Toja, elle est arrivée à vélo, avec tout son attirail. Hautes cuissardes, « horquilla », littéralement une « épingle à cheveux », en réalité une fourche munie de deux manches et de grandes dents pour creuser profond le sable dans les eaux. Elle porte aussi un seau, des flotteurs, sans oublier un large sourire sur un visage jovial. Il est 9h30 et les eaux commencent à descendre. C’est le moment de rentrer en scène. Dans deux heures seulement, les deux rives se rejoindront par endroits en larges bancs de sable humides empêchant les Mariscadoras d’évoluer aisément dans cet environnement.

D’une palourde à l’autre, de légères différences

Quelques mariscadoras se sont d’ailleurs déjà « jetées » à l’eau, sur la Ria norte, à gauche du pont menant à la presqu’île. Rocío, une jeune pêcheuse, flotteur ceinturé  autour de la taille, effectue sa besogne quotidienne. Travailleuse indépendante, elle n’a besoin que du permis de pêche délivré par la Confraria de Pescadores San Martiño de O Grove pour pouvoir exercer cette profession. Après avoir touché à une série de petits boulots dans la restauration et l’hôtellerie, elle a choisi de rejoindre cette communauté de femmes pour la liberté qu’elle lui procure. Choix que font même de plus en plus d’hommes avec la persistance de la crise. «  J’exerce ce métier depuis deux ans. Ici c’est bien mieux car je suis mon propre patron ! » L’eau encore au niveau du bassin, elle plonge l’horquilla profondément dans le sable à l’aide de son pied pour pouvoir relever et filtrer la matière solide… et quelques algues. Elle examine, tire deux palourdes japonaises pour les déposer dans son filet flottant puis en relâche une autre. « Celle-ci est trop petite », souffle-t-elle. Rocío commence à avoir l’œil avisé par ses quatre et cinq heures de travail à la journée. Elle est capable de distinguer rapidement les palourdes japonaises de la palourde « fina », chose plutôt difficile pour une novice. « La palourde japonaise est plus rugueuse, elle a aussi son extrémité plus grosse, la « fine » est moins marquée, plus mince … Mais il faut faire attention, la taille des coquillages est réglementée », avance-t-elle.

A la recherche des précieux berberechos

A la « Lonja », halles municipales où les mariscadoras ramènent leur récolte du jour, les coquillages font l‘objet d’un véritable contrôle de dimension à l’aide d’un tamis. Ceux qui passent à travers ne sont pas pris en compte. Il faut leur laisser le temps de grandir pour protéger l’espèce. Mais ce que Rocío cherche davantage, dans ces eaux peu profondes, ce sont les berberechos, autrement dit, les coques. « Elles sont plus discrètes, mais se vendent plus chères ! Celles qui pêchent sur le sable en trouvent moins en principe. » Chacune a son astuce, qu’elle développe avec le temps et la pratique.  Un peu plus loin, Carmen, la quarantaine dont une quinzaine les mains dans l’eau et dans le sable, s’aide des fines petites bulles qui remontent à la surface. « Mais ce n’est possible que lors des jours de beau temps où l’eau est calme comme aujourd’hui », prévient-elle.

Deux techniques bien distinctes

85 % des mariscadoras en Galice ont autour de 40 ans. Mais certaines dépasse cet âge moyen. Parisa doit bien avoir soixante ans. Elle utilise un rostrillo, grand râteau, doté de longues dents qui sert à retourner et ratisser le sable. « Je préfère être sur la « plage » que dans l’eau, c’est moins humide ! » déclare-t-elle. Elle a le dos courbé pas ces années de labeur, mais n’en laisse rien paraître. « C’est physique, oui ! Mais, on n’a jamais froid », s’exclame-t-elle. « Maintenant que je suis seule, avec cette activité, je gagne suffisamment pour vivre. Ca va. Ca va bien ! » répète-t-elle inlassablement. Depuis 20 ans, la pêche est règlementée, structurée. Elle est autorisée avec la délivrance d’un permis et donne effectivement le droit à un salaire et à la sécurité sociale. C’est aussi ce qui explique, sous l’influence de la crise, l’apparition plus fréquente des hommes sur la « presqu’île aux trésors », confient des mariscadoras. Faisant fi des traditions, certains y ont trouvé un débouché, sans susciter grand étonnement. Du moment qu’il ne s’agit pas de braconniers, on tolère facilement les entorses à la « règle ».

De 40 à 300 euros par jour

Certaines papotent en petits groupes, mais pas trop longtemps, car elles savent que le temps leur est compté avant que la marée remonte.  On se demande d’ailleurs quelle ambiance règne entre elles. « Vous voulez la version officieuse ? On ne peut pas s’encadrer…» confie l’une d’elle avec un petit sourire espiègle. Forcément, le secteur maritime est le premier pilier de l’économie de la Galice. Cette région du nord-ouest de l’Espagne effectue 80 % de la production de coquillages du pays. Tout un système qui tourne donc autour de la pêche traditionnelle. Et si la concurrence est saine, elle existe bel et bien. Les fins de mois sont assez aléatoires pour les mariscadoras, au regard de la saison, mais surtout de la demande… Ces « chercheuses d’or » sont rémunérées en fonction de la vente et ne travaillent en moyenne que 15 jours par mois, du fait de la réglementation. « A Noël, comme la demande est importante, on gagne beaucoup. Je dirais 200, 300 euros dans les meilleurs jours. Mais en ce moment, c’est plutôt 60… 50… 40 euros… Cela dépend des acheteurs », témoigne Rocío.

Une pêche traditionnelle en danger ?

Les acheteurs sont ceux de la Lonja, les halles municipales adossées au port d’O Grove. C’est là qu’a lieu la première vente à la criée des produits extraits de l’océan et orchestrée par un représentant de la confrérie. Seules les personnes autorisées (restaurateurs, représentants de stations d’épuration, grossistes) peuvent y participer. Un joyeux petit monde duquel dépend le salaire des mariscadoras. La vente débute quelques heures à peine après la pêche. Et à cette période -début d’année- les prix sont plutôt tirés vers le bas…

Intempéries, travail très physique, braconnages, salaires aléatoires… Il faut donc en vouloir pour garder les pieds dans l’eau ! Sans compter l’ombre d’un projet de loi d’implantation d’aquaculture déposé par le gouvernement de Galice qui plane sur l’estuaire d’Arousa. « Nous, mariscadoras et autres pêcheurs traditionnels, n’en voulons pas. » Plusieurs raisons les poussent ainsi à s’inquiéter et à protester. Ils craignent notamment que ce projet de loi, tel qu’il est présenté, ne mettent  purement et simplement en péril la survie de ce modèle économique traditionnel au profit d’entreprises multinationales. Ils craignent aussi l’implantation d’espèce étrangères dans les eaux de la ria, l’impact environnemental, etc. « Nous sommes le « paradis du coquillage ». Ici, c’est tout une économie qui s’articule autour de cette pêche traditionnelle, le tourisme compris. Pourquoi vouloir changer quelque chose qui fonctionne ? » s’interroge-t-elle.

« Retour à la vraie vie »

A 11h30, alors que l’estuaire au sud est presque asséché, les rives fourmillent à présent de centaines de Mariscadoras. Quelques charrettes et affaires sont abandonnées sur la plage, qui s’étire à mesure que l’heure tourne. De fortes effluves maritimes remontent aux narines des passants. La marée haute ne va pas tarder à mettre fin à l’activité de nos pêcheuses. A 13h30, l’eau sera spectaculairement revenue à son niveau le plus important. Elle atteindra 3,3 mètres à 16h. « On sait quand on doit s’en aller ! » s’exclame Rocio. Paca a déjà des coquillages plein son filet flottant. Mais ne pourra pas passer au-delà des quotas. Deux kilos pour l’almeja fine (palourde fine), treize kilos pour l’almeja japonica (palourde japonaise), deux kilos pour les berberechos (coques). La règle est la même pour tout le monde. Deux heures plus tard, Paca et son amie effectuent un premier tri pour remplir leurs seaux par type et par taille de coquillages. « On s’aide oui, mais ça, c’est qu’entre copines ! » s’exclame t-elle. « A présent, retour à la vrai vie » renchérit Elena.

Le ballet de la Lonja

L’heure de vérité, c’est donc à deux kilomètres de là, à la Lonja. Il est 13h, soit 3 heures avant la vente de lots des précieux coquillages aux enchères. Sous les yeux des Mariscadoras qui rejoignent la file d’attente bruyante de manière disciplinée, s’orchestre un véritable ballet : tri, pesée, étiquetage, classement. Rocío en profite pour jeter un coup d’oeil sur ses ventes de la veille à l’aide d’un automate prévu à cet effet. Verdict : 80 eurosC’est pas les plus beaux jours mais cela fera l’affaire. Paca et Elena auront quant à elles, ce jour, effectuées une récolte semblable. Elena range son ticket récapitulatif sous sa casquette, l’air satisfait et le sentiment du devoir accompli avant d’enfourcher à nouveau sa bicyclette et de rebrousser chemin. La suite n’est plus de son ressort mais entre les mains des acquéreurs. Elles en tireront finalement un peu moins d’une centaine d’euros. Demain une nouvelle journée les attend. La dernière du mois, mais certainement pas la dernière de leur vie.